Un cheval de Troie
La liberté, cette valeur moquée, détestée, vilipendée était autrefois tenue en haute estime et mise au fondement de notre civilisation. « Libârté ! » dit-on aujourd’hui en la méprisant comme si elle avait été touchée par le diable. Cette valeur pour laquelle nos ancêtres se sont battus sur les plages de Normandie, dans les Ardennes, au milieu de l’Atlantique Nord, n’est plus que la caricature d’un monde en déclin. Après tout, pourquoi se plaindre ? On peut acheter ce qu’on veut sur Amazon et visionner ce que l’on veut sur Netflix ! Puis, pour participer à la vie commune et vous déplacer sur votre territoire, vous n’avez qu’à vous faire vacciner ! Pourquoi donc avancer quelque chose d’aussi choquant que nous aurions ouvert une voie vers la tyrannie ? Mes raisons pour affirmer une telle chose sont simples, mais méritent d’être expliquées : d’abord en raison d’une nouvelle vision de la liberté qui rompt avec celle des lumières et qui inverse nos fondements civilisationnels. Ensuite par l’effet de morcellement social qui mène à la destruction des conditions mêmes de l’existence du bien commun en prétendant lutter pour lui.
Je définis le sanitarisme comme l’idéologie qui soumet l’entièreté du monde social, politique et individuel à un idéal de pureté sanitaire. Dans un monde sanitariste, la prise de risque est suspecte et quiconque ne s’inquiète pas d’une menace à sa santé, aussi faible soit-elle, est perçu comme un hérétique qui pose un danger au nouvel ordre social. Le sanitarisme voit dans les diktats de bureaucrates proclamés experts la voie vers une humanité purgée de menaces virologiques. Le sanitarisme est donc une nouvelle idéologie utopique qui, au nom d’un idéal supérieur, renverse les valeurs qui fondent nos sociétés occidentales, s’arrimant ainsi particulièrement bien avec les objectifs du postmodernisme, communément appelé « wokisme ».
Le sanitarisme domine le monde social, politique et médiatique depuis presque deux ans maintenant et a opéré un changement important dans notre conception de la liberté. L’ancienne conception plaçait le citoyen en état de liberté totale. Cependant, par le contrat social et des lois issues du peuple, la liberté pouvait se voir limitée dans un cadre circonscrit qui nommait explicitement les instances où la liberté du citoyen était limitée (p. ex. tuer, voler, aller à 230 km/h sur l’autoroute). Pour le reste, il pouvait dire ce qu’il voulait, faire ce qu’il voulait, quand il le voulait, où il le voulait et avec qui il le voulait. Cette vieille conception est aujourd’hui renversée : il nous est maintenant interdit de tout faire, sauf ce qui nous est explicitement autorisé par des décrets issus de bureaucrates de carrière loin du peuple, derrière des portes closes, brisant ainsi ce sur quoi repose le contrat social.
Les mesures sanitaires, qui devaient être éphémères le temps d’une crise, ont en fait servi de cheval de Troie pour l’idéologie sanitariste, ce qui a permis un changement de cap fondamental du paradigme civilisationnel. Comme Damoclès, une épée est suspendue au-dessus notre liberté, nos droits et notre démocratie. Rien ne limite plus un gouvernement d’interdire le travail, les rassemblements ou de reconfiner sa population et ce sans passer le filtre du parlement et du débat démocratique, car ces mesures pourront se justifier par une urgence toujours prolongée, peu importe sa nature ou sa véracité. Pourquoi pensez-vous que ce qu’on appelait changements climatiques est maintenant nommé crise et urgence ? C’est un jeu sémantique qui met la table pour d’autres limites à notre liberté au nom d’un objectif prétendument noble.
C’est dans cette logique que s’inscrit le passeport vaccinal : sous des couverts d’objectifs respectables, on nous impose une liberté à la fois conditionnelle et relative et on nous refuse la possibilité d’accepter les risques inhérents à l’aventure humaine. Cette répulsion face à la prise de risque relève en fait d’un nihilisme sans fond, puisqu’en mettant de côté les considérations les plus fondamentales de l’existence au profit d’un sentiment de sécurité, on en revient à inhiber l’expérience humaine et toute l’insécurité qu’elle comprend. Sans prise de risque, on se retire la possibilité de trouver un sens à notre existence dès lors incomplète.
La vaccination, à la manière d’un baptême, est une manière de montrer son adhésion au refus du risque et donc au sanitarisme. En ce sens, refuser la vaccination serait un acte d’égoïsme puisqu’il s’agirait d’un affront à la nouvelle idéologie qui prétend lutter pour le bien de tous. Le passeport vaccinal est ainsi justifié : punir l’hérétique. Une personne non vaccinée ne menace personne d’autre qu’elle-même, mais une idéologie utopique ne peut accepter la dissidence, tout le monde doit rentrer dans les rangs. Dans les faits, c’est le passeport lui-même qui est un acte d’égoïsme puisqu’il souhaite préserver un sentiment de sécurité absolue au détriment des valeurs qui fondent ce que nous avons de commun dans nos démocraties libérales. Si vous craignez d’aller dans un restaurant ou dans un stade avec des non-vaccinés, c’est à vous de ne pas y aller. Le vaccin n’est-il pas efficace ? Si oui, vous êtes protégés, arrêtez d’avoir peur de ceux qui ne le sont pas ! Votre hypocondrie ne justifie de retirer le droit de cité à tous ceux qui pensent la condition humaine différemment que les nouveaux curés de la santé publique.
Certains tenants du sanitarisme nous ont aussi présenté la pandémie comme une opportunité de faire renaître les frontières nationales et de surcroît, une certaine fierté collective. Or, cette analyse géographique est incomplète puisqu’elle omet presque toutes les échelles d’analyse. La pandémie n’a pas fait resurgir que les frontières entre les nations, elle a aussi refermé les frontières entre les provinces, entre les régions, entre les villes, entre les quartiers, entre les maisons, entre les familles et surtout entre les individus. Le sanitarisme a créé des milliers de frontières et morcelé le territoire et les relations humaines. Le voisin devient une menace qu’il faudra potentiellement dénoncer dans cette nouvelle société où la délation est encouragée. Dans ces conditions, faire nation n’est plus possible. Mais plusieurs se réjouissent de l’apparition de toutes ces frontières : les GAFAM qui s’enrichissent plus que jamais pendant que la classe moyenne, interdite de travailler, s’appauvrit, s’isole et se divise. Le bien commun passe-t-il vraiment par une fragmentation sociale et géographique dont profitent les grands intérêts financiers ? Pensez-vous qu’Amazon est fermé le dimanche au Québec ?
C’est de ce point de vue qu’en prétendant lutter pour le bien commun, le sanitarisme participe dans les faits à sa destruction puisque pour parvenir au bien commun, encore faut-il qu’il existe une telle chose que le commun. Or, le monde sanitariste retire les conditions mêmes de l’existence d’un corps social.
En bref, le sanitarisme propose une inversion de la vision de la liberté héritée des lumières et souhaite abolir la prise de risque intrinsèque à l’existence humaine. Michel Djerzinski, le personnage de Houellebecq qui voulait en finir avec l’humaine condition serait bien fier de la société que nous sommes devenus. Le sanitarisme propose du même coup une redéfinition du bien commun où le commun lui-même est absent. Il ne reste que le bien. Puisque la fin justifie les moyens, c’est sans scrupule que le sanitarisme importe en bloc le modèle de contrôle, de surveillance et de discrimination qui fait loi en Chine et soumet nos vies aux bons vouloir de bureaucrates de carrière, pour le bien. Le bien de quoi ? Nul ne le sait…
Alors pour répondre succinctement à la question centrale du texte : comment est-ce que le sanitarisme est une voie vers la tyrannie ? En posant les bases d’une société où la liberté n’a de libre que le nom et où le commun n’existe plus, le sanitarisme rend possible une société espionnée, discriminée et contrôlée où l’individu est soumis aux commandements de la nouvelle idéologie.
La tyrannie arrive un pas à la fois, nous n’avons pas atteint le point de non-retour, du moins je ne crois pas. Il suffit de prendre conscience de notre situation, remettre les principes déontologiques qui fondent notre civilisation au centre de la chose publique. Reconnaître la liberté, celle des lumières, celle de Locke et de Rousseau, comme étant essentielle à l’épanouissement collectif et retrouver la vision du bien commun qui fait d’abord passer par l’individu le fardeau du contrat social. C’est l’unicité que chaque personne apporte à un tout plus grand que la somme de ses parties qui donne au collectif une chance d’exister.
C’est encore possible, il n’est pas trop tard, il est encore temps de sauver ce qui fait de notre civilisation une grande civilisation.
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