Les nouveaux monarchistes sont arrivés
En 1789 lors de la Révolution française, les députés rassemblés aux États généraux qui étaient opposés au veto royal se sont assis à la gauche du roi alors que ceux assis à sa droite y étaient favorables. C’est là l’origine de l’appellation « gauche » et « droite » en politique. Les termes ont bien sûr évolué à travers le temps au point où aujourd’hui, c’est la gauche qui s’assoirait à la droite du roi.
Récemment dans la revue à la réputation surdimensionnée, The Atlantic, un professeur de l’Université de Washington à Saint-Louis a écrit que le peuple n’est pas fait pour s’exprimer autant que le permettent les réseaux sociaux. Je cite : « Breaking up social-media companies is one way to fix them. Shutting their users up is a better one. »
Il peut être facile de rejeter ce genre d’idées et supposer qu’il s’agit de marginaux qui croupissent dans les coins des universités. Cependant, les marges universitaires d’aujourd’hui sont les normes de demain, c’est pourquoi je prends quelques minutes pour m’intéresser sérieusement à ces idées bien plus répandues qu’on peut le penser.
L’auteur part du constat que le contrôle du discours public était autrefois le monopole des gouvernements, des corporations et des grandes entreprises médiatiques. Les réseaux sociaux posent maintenant ce contrôle dans les mains du « citoyen ordinaire » qui peut à sa guise partager ses écrits et ses images au monde entier sans égard aux anciennes limitations technologiques ni à l’approbation d’un éditeur ou d’un diffuseur. Or, au même moment où certains se réjouiraient de cette démocratisation du discours, notre « spécialiste » des médias se désole de voir le peuple prendre de l’importance dans l’espace public. En effet, puisque « rien ne porterait à croire que tout le monde devrait avoir un accès au reste du monde en tout temps », il avance la proposition suivante : « Wouldn’t it just be better if fewer people posted less stuff, less frequently, and if smaller audiences saw it? » Autrement dit, le pouvoir tout juste passé au « citoyen ordinaire » devrait lui être enlevé et retourné dans la poigne des plus puissants. Bienvenue dans le projet de la gauche contemporaine : s’opposer au progrès social et souhaiter le rétablissement d’institutions antérieures… N’est-ce pas là la définition exacte de la réaction ? Non bien sûr, les conservateurs qui défendent la liberté d’expression, l’universalisme et le mélange des cultures sont les vrais réactionnaires ! Qu’on me pardonne ma perplexité.
Dès lors, notre réactionnaire vertueux nous propose plusieurs solutions astucieuses pour vous faire taire. D’abord, limiter le nombre de publications que vous pourriez publier. Ensuite, limiter le nombre de personnes qu’elles pourraient rejoindre. Puis ma préférée, limiter leur portée géographique. De cette manière, vous ne serez plus en mesure de partager vos dangereuses idées dans l’espace public. Vite, retournons le pouvoir aux grandes institutions et aux grands médias, les vils plébéiens que vous êtes ne doivent pas parler ! Et à ceux qui crieront à la censure, rassurez-vous dit le professeur en vous rappelant qu’il n’y a absolument « aucune raison de penser que tout le monde devrait avoir un accès immédiat et constant au reste du monde à tous moments » ! Vous pourrez maintenant dormir tranquille.
Si vous n’étiez pas encore convaincu des intentions de l’auteur, ce qu’il nous dit vers la fin du texte est on ne peut plus clair :
Ideas spread easily, Adams writes, when they get put in front of lots of people who are easy to influence. And in turn, those people become vectors for spreading them to other adopters, which is much quicker when masses of easily influenced people are so well connected—as they are on social media. […] Worse, people share the most emotionally arousing ideas, stories, images, and other materials. […] Just imagine how much quieter it would be online if it weren’t so loud.
Voilà, vous êtes des petits moutons faciles à influencer, mais vous êtes surtout des vecteurs de transmission d’idées. Non seulement vous transmettez la COVID, vous transmettez des idées qui menacent le pouvoir universitaire et politico-médiatique, voilà pourquoi il faut vous faire taire. Vous êtes une menace pour les élites. Après le confinement sanitaire, le confinement idéologique.
Il y a de bonnes raisons de penser que si cet auteur avait été professeur en 1454 lorsque Gutenberg a inventé l’imprimerie, il se serait indigné du partage des idées et se serait méfié de la menace à son pouvoir que représentait la presse nouvellement inventée.
Pour résumer le propos, l’auteur tente d’atteindre le plus grand nombre de personnes par les médias afin de partager ses idées voulant que les médias empêchent les « citoyens ordinaires » d’atteindre le plus grand nombre de personnes. Vous êtes le citoyen ordinaire, lui le citoyen extraordinaire, voilà pourquoi il peut publier, mais vous devriez vous taire. Vous n’êtes rien d’autre qu’un « vecteur de transmission ».
Ceci est un microcosme de la pensée des élites universitaires et médiatiques : leur pouvoir est menacé, ils feront tout pour le conserver quitte à devoir saper les bases de notre civilisation. Autrefois, l’aristocratie défendait le pouvoir de la monarchie contre le peuple, aujourd’hui les nouveaux aristocrates universitaires, politiques et médiatiques défendent leur pouvoir contre le peuple, ils sont les nouveaux monarchistes. Différentes époques, même combat.
L'article en question : https://www.theatlantic.com/technology/archive/2021/10/fix-facebook-making-it-more-like-google/620456/
Comments