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Les chroniques

L'argument démographique

Un argument simpliste et immature

Dans un de mes cours la semaine dernière, nous avons discuté de la croissance démographique et de son impact sur les problèmes environnementaux. Comme la plupart des discussions entre étudiants universitaires, l’issue était décidée d’avance et c’est dans un esprit consensuel que l’ensemble de la classe s’est congratulé de ses prouesses intellectuelles consistant à gambader ensemble dans la grande vallée de la pensée unique. Une des grandes erreurs de l’école (particulièrement des universités) dans les dernières décennies a été d’introduire chez les étudiants un sentiment d’importance et de supériorité en leur donnant l’impression qu’ils ont quelque chose d’unique à dire alors qu’ils ne font que répéter l’idéologie que leurs professeurs leur ont enseigné.


Mais n’importe, pendant que tout le monde s’applaudissait en répétant sous une forme ou une autre que le capitalisme c’est méchant, que l’occident est raciste, que l’argent est une construction sociale et que la décroissance est la seule voie possible, j’essayais de penser sérieusement à la question. J’ai donc décidé d’écrire ce court texte dans un contexte extérieur à l’université, le voici :


L’argument voulant que la croissance démographique soit intimement liée aux problèmes environnementaux et qu’il faille donc d’une manière ou d’une autre réduire les naissances est un argument simpliste et immature qui réduit à une seule variable un problème complexe. D’abord, nous sommes face à un argument qui omet de mentionner la tendance démographique globale. Il présuppose, comme Malthus au 18e siècle, une croissance exponentielle de la population. Or, selon les projections de l’ONU (figure 1), la population devrait se stabiliser autour de 11 milliards d’humains d’ici la fin du siècle. D’autres démographes prévoient même une diminution de la population d’ici 2100 (figure2). Qui plus est, la croissance démographique est loin d’être uniforme partout sur Terre. Le taux de natalité est nettement plus élevé en Afrique qu’il ne l’est en Amérique du Nord par exemple. Faudra-t-il dès lors du haut de la supériorité économique du Nord limiter la natalité des pays du Sud ? C’est bien sûr une idée folle. Nous sommes donc face à un argument démographique qui laisse de côté la démographie ! Très universitaire comme processus…


Figure 1 - Population planétaire projetée d'ici 2100 selon l'ONU


Figure 2 - Population planétaire projetée d'ici 2100 selon l'ONU en orange, selon le Institute for Health and Metrics Evaluation en bleu foncé et selon le International Institute for Applied Systems Analysis en bleu pâle (Adam, 2021)


Mais la démographie pose une autre question importante, soit celle de la proportionnalité. Une croissance démographique dans le sud global est-elle proportionnelle à une croissance démographique dans le nord global en termes d’effets sur la nature ? Autrement dit, une famille africaine de 5 personnes a-t-elle le même impact sur l’environnement qu’une famille canadienne du même nombre ? Bien sûr que non. De ce point de vue, n’est-il pas possible de découpler la croissance (démographique ou économique) de l’impact sur l’environnement ? C’est l’idée avancée par les écomodernistes qui soutiennent que l’innovation technologique nous permet de poursuivre la croissance économique sans pour autant faire croître les impacts environnementaux. Les auteurs écomodernistes comme Michael Shellenberger et Luc Ferry ont aussi avancé que les extrants du système économique doivent devenir les intrants afin de créer une économie circulaire. Ce faisant, la croissance économique et l’innovation technologique ne se traduiraient pas par une exploitation infinie des ressources naturelles finies. Mais comme de tels auteurs ne remettent pas en question les fondements du système et ses institutions, ils ne sont pas les bienvenus à l’université, sauf bien sûr si c’est pour rire de la caricature qu’on fait d’eux pour se sentir mieux avec notre idéologie. Il est bien plus facile de dire vouloir « changer le système » que d’identifier ce qui fonctionne mal et de le réparer. Dès lors que l’on veut « mettre à terre le système », il n’est plus nécessaire de réfléchir, toutes les réponses à nos questions sont « dans le système » et on a qu’à réciter nos réponses prémâchées et s’en laver les mains. C’est aussi plus extravagant et mieux perçu socialement, et c’est ce que l’université enseigne…


Mais l’aspect le plus souvent oublié par les tenants de l’argument démographique et par les environnementalistes de bureau est la question des motifs qui pousse une population à souhaiter conserver leur environnement. Pourquoi conserver notre environnement ? Certainement pas pour faire plaisir à des universitaires qui ne savent pas faire de démographie. Plutôt parce que ceux qui nous ont précédés nous ont transmis un territoire, et que nous voulons à notre tour le transmettre aux générations qui nous succéderont. Nous sommes héritiers, et donc garants d’un vaste espace naturel qui se fait le socle de la vie commune. Nous devenons ainsi redevables non seulement envers les générations passées qui nous ont légué cette responsabilité immense de la fiducie, mais surtout envers les générations futures qui méritent qu’on leur transmette le territoire que nos ancêtres ont défriché et forgé.


Si la croissance démographique est exponentielle et infinie et que les problèmes environnementaux y sont inextricablement liés, l’argument démographique au bout de sa logique suppose un contrôle de la population. Dans cette optique, les générations futures ne sont plus nos héritiers ni les prochains garants du territoire naturel qu’il faut conserver, ils ne sont que des statistiques climatiques et environnementales désincarnées du corps social, brisant ainsi le lien de transmission qui unit le passé du présent, et le présent du futur. Qui plus est, une telle stratégie sous-tend une imposition par la force de l’État à la manière chinoise. La dissension serait interdite et la liberté mise de côté. Nous perdons ainsi la responsabilité que nous avons envers générations futures, et devenons les pions d’une bureaucratie autoritaire qui nous éloigne de la nature et retire à l’humanité les motifs du désir de protection environnementale.


En conclusion, les malthusiens ont eu tort, les néomalthusiens ont eu tort et aujourd’hui, ceux qu’on pourrait appeler les postmalthusiens auront tort. L’argument démographique auquel nous sommes confrontés met de côté la démographie la plus élémentaire, ignore la capacité d’adaptation et d’innovation technologique des humains et surtout, retire les motifs nécessaires à un désir conservation environnementale fructueuse. En se réfugiant dans une solution simpliste, les postmalthusiens détruisent la possibilité même de la passion pour la protection du territoire. Les enfants sont plus qu’une quantité de CO2 dans l’atmosphère, ils sont des héritiers envers qui nous avons une immense responsabilité, celle de leur transmettre un territoire dont ils pourront être à leur tour garants.


P.S. Chapeau à la professeure qui, malgré ses a priori idéologiques, est très ouverte à toutes les idées et encourage la discussion.


Sources :

Adam, How far will global population rise? Reserchers can’t agree. Nature 597, 462-465 (2021)

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